migrateurs

La première fois qu’il était mort, il était encore petit. C’était un mot, une phrase qui l’avait tué, qui avait précipité sa fuite, le déménagement violent de ses affects, de ses talents, du sens de sa présence. Bien sûr, il savait d’instinct, comme chacun, qu’un jour ou l’autre nous devons partir comme nous sommes venus, nu et les mains vides.

Si désinvolte et si cruellement humaine était la disgrâce qui lui tombait dessus – n’être qu’un paquet de neige au fond de la crevasse où disparaitre – ou fondre sous la cendre des fourneaux – avait-il le choix? être oublié à l’orée de sa vie les pieds cloués les yeux baissés – comment voir alors la grâce de la disgrâce?

A vrai dire, à dire vrai, à vivre ou à mourir, rien ni personne ne l’avait préparé – entre rogner les bouts de gras pour seule douceur ou sauter dans le vide de sa raison, c’était sans compter – où qu’il aille – sur les louches fanfreluches des faucheuses qui pendaient à l’oripeau de ses sourires et les peaux de banane du karma –

skier entre les ronces émotionnelles relève de la folie quand plane l’aigle de la destinée – ce qui est caché attend son heure à toute heure – la sphynge aux yeux d’émeraude est avide de ton énigme – viens te dit-elle en se frottant les ailes sachant que tu ne peux faire un pas –

à quoi se raccrocher quand la raison prend l’eau – le fond de la bassine délaissée au bout du jardin montre ses fesses de limaille écornée – les arbres lui tournent le dos – la terre appelle à grands coups de symboles de cymbales de saintes symphonies mais il est difficile de voir l’invisible et de s’entendre oser –

Il avait senti le couteau d’un mot déchirer l’embelle de ses yeux, s’enfoncer dans la chair tiède de ses mains. Même pas pleurer juste être sidéré, figé, pétrifié dans le béton de voix qui s’élèvent en murs de prison. Il était lui-même couteau à la dérive des mots qui l’avaient assassinés. C’est ainsi qu’il racontait sa vie.

Il s’était senti coupé, arraché, disloqué, il était sorti de son corps avec l’intention de ne plus y revenir ou plutôt il s’était senti éjecté avec brutalité de l’autre côté de l’humanité, sans l’avoir choisi ni voulu ni même tenté. Oui c’était plutôt cela : on l’avait sommé de partir, de déguerpir, sans ménagement. A peine arrivé, il fallait déjà reprendre ses valises et clandestinement quitter la scène sur la pointe des pieds.

Il faisait un froid d’éclipse, de la buée noire sortait de ses mâchoires bloquées, emportant dans les nuages les spectres de son coeur.  C’était un mot, une phrase qui avait déclenché la porte secrète de l’enfer, le mantra maléfique qui avait ouvert les gouffres du malheur, l’effondrement soudain, où chuter entre les ongles du rejet avait été la seule possibilité. raisonnable semblait-il.

La première fois qu’il était mort, personne ne s’en était rendu compte. Il avait eu beau appeler au secours et regarder autour de lui, un mur de silence rendait sa présence imperceptible. Les autres poursuivaient leur conversation à laquelle il ne comprenait rien de rien, leurs yeux lançaient des éclats de métal abolissant toute proximité, tranchant les filets et les liens, comme si les couleurs n’avaient jamais vraiment existées, comme si l’aube ne s’était jamais levée, comme si le soleil n’était jamais paru. Peut-être était-ce le cas – Peut-être n’avait-il fait que rêver l’amour et la bonté?

Quelques images glissaient furtivement sur la plage de sa mémoire, il revoyait la pluie sur la vitre, chaque goutte dessinant un chemin de croix brisées, de larmes retenues sur fond d’adieu irréversible. Il était chaque goutte, chaque lien déchiré, chaque pas effacé. Bien que proche, tout semblait si loin, avec la douleur vive de quitter la chaleur familière d’une terre malgré tout d’accueil – deuil de soi sous la guillotine d’un autre –

La première fois qu’il était mort, ce ne serait pas la dernière. Il apprendrait à vivre avec des petits bouts d’éternité dans la poche de son manteau de peau. Il se disait que chaque coup porté par la hâche des mots qui arrache le délivrerait de ses lâchetés, que chaque petit meurtre entre intimes le préparerait à quitter l’île temporaire où il ne faisait que passer – que la haine pouvait bien continuer à maquiller ses fauves, mourir devenait une force de résurrection. Il lui arrivait même de sourire à la Sphynge –

La dernière fois qu’il était mort, il s’était senti plus vivant que jamais. Dans la nudité de ses mains vides, le petit oiseau râleur de son coeur avait fondu – l’exil devenait enfin rapt des mémoires de souffrance où s’ébauchaient de nouvelles alliances – il pouvait alors donner sans attendre, trouver l’or de l’instant sans le chercher – même sur la vitre éplorée, il pouvait déceler le baiser chaud de la vie et l’offrir aux oiseaux migrateurs qui emporteraient avec eux le petit paquet de neige qu’il était blanc et serein jusqu’à la fin des temps –

 

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  1. xab0003 dit :

    une histoire qui me ressemble tellement
    un poème qui accompagne mes pas perdus dans la neige
    un poème qui accompagne mes larmes gelées au petit matin de chaque jour
    une histoire pour ma raison qui s’est effilochée aux questions de la shynge
    une histoire pour le vide sans terre d’acceuil
    je suis quand même arrivé chez moi
    merci à toi

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