Dans tes rêves

L’ouverture commence par la cinquième de Beethoven, entrecoupée de spots publicitaires vantant les privilèges du jour, de réclames faisant allégeance à la sacro-sainte institution de la consommation, raisonnée, raisonnable, raisonnante, à l’air du temps, quoiqu’il en coûte, coûte que coûte, et comme chacun sait il en coûte.

La caissière lui demande: avez-vous pris un paquet de xylitor, vous savez que votre femme les adore. Il est surpris par cette incursion du rêve dans la réalité, d’autant plus que la nuit précédente il a rêvé que la caissière du supermarché lui demandait s’il avait pris un paquet de cette chose pour sa femme. Il vient exactement de croiser les deux informations, à l’instant où elle terminait sa phrase et levait vers lui un regard de sonde perdue dans l’espace. On pourrait croire à l’alléluia des synchronicités mais non le soufflé retombe. Il est d’autant plus surpris qu’il n’a pas de femme, enfin pas qu’il sache, et qu’il ne connait pas cette chose, le xylitor, dont le nom sonne comme un vaisseau de science-fiction. Régulièrement, La vaste blague de la réalité refait surface pour lui rappeler qu’il devrait se méfier d’y croire, à la sacro-sainte vérité raisonnée, raisonnable, raisonnante des apparences.

Sans doute, dans ce paramètre de la synchronicité, avait-il négligé la communication des objets entre eux. Chacun devine aisément que le pot de confiture n’est pas si innocent que sa composition veut bien le laisser paraître.

Alors qu’il arpente les rayons, à la recherche d’un paquet de boudoirs, il sent la présence des boites de conserve qui alignent leur code barre de manière suspecte. La paranoïa l’envahit, il y a deux minutes ou moins n’était-il pas à la caisse, en train de parler à la caissière qui bipait de toutes ses dents introverties et de ses yeux fanés. Effectivement, elle n’avait pas de sourire, elle semblait désespérée, l’âme mutique, rien ne transparaissait de son humanité. Le faisait-elle exprès? Il faut l’avouer, il avait presque eu peur, de cette peur irrationnelle qui vous saisit au milieu des plus anodines transactions de la mise en pli du quotidien.

Plus automatisé que le tapis roulant tu meurs, et tu es moins appêtissant tout de même que le paquet de petit beurre du client suivant. Qui parle? Dans son rêve il se rappelle, il broyait des brioches synthétiques, suant dans leur plastique, il les exterminait comme un enfant jouant à la guerre des mondes mais d’où lui venait cette violence envers les emballages de gâteaux qu’il adorait par ailleurs, quoiqu’il préférât le goût délicat des choses faites maison. Mais voilà, il n’a pas de femme, pas de xylitor à offrir, juste des rêves où le réel vient faire intrusion comme un espion au chômage. Sortez vos mouchoirs. Heureusement, la femme en lui lui susurre qu’après des siècles d’esclavage il peut bien se libérer et que ce n’est pas parce qu’elle s’absente qu’il ne pourrait pas s’exprimer, les mains dans la farine. D’où vient cette voix qu’il entend dans sa tête? Il regarde vers les néons, un diffuseur anti-moustique géant l’informe qu’on balance ce qu’il faut sur les fruits et légumes pour les conserver en bon état de mutation. Dieu a vraiment changer de visage se moque Eve en catimini.

A moins que ce ne soit lui le moustique géant, le nuisible de la planète qui se prend pour le roi de la galette, va savoir et là il ne sait plus. Le flou artistique comble le vide et lui permet d’appuyer sur pause. Mais cela ne dure pas. Un bruit strident lui perce les tympans, il sursaute et ouvre les yeux, égaré. Il est dans son lit, le réveil a tellement sonné qu’il en est tombé par terre, à moins qu’une main invisible ne l’ai giflé pour qu’il se taise enfin. Bref, il se croyait au supermarché et le voilà dans son lit. Il bâille et se gratte le sommet du crâne. Allumer c’est trop tôt, trop brutal, ses neurones ne sont pas encore dans leurs alphabets, ses leds sont tignasse, ses pieds deux sdf. Il aimerait se rendormir mais le réveil a bien fait son boulot de petite frappe, il n’a plus l’esprit aussi tranquille qu’avant, très vite l’après s’est immiscé.

Il se décide à allumer et voit sur la table de nuit une boite de xylitor. Ce n’est pas un paquet de gourmandises mais son anxiolytique habituel, son joli petit fil à la patte pour ne pas sentir que la vie ça fait mal. Merde! personne le lui a dit? c’est vache ça! mais quelles sont ces voix qui sifflent sur nos têtes?

Soudain, l’illumination, relative mais tout de même, arrive, il se questionne! Ce rêve ne parlerait-il pas de moi tout entier? serais-je la caissière au regard vide, à l’âme mutique, à l’agressivité muette? Serais-je les allées de boites de conserve paranoïdes, le supermarché lui-même, l’ouverture de la cinquième? Aurais-je un désir caché de rencontre, la femme à qui offrir le xylitor, si c’était elle? oui mais qui? La femme en lui voudrait bien dire quelque chose mais il ne l’écoute pas, il est déjà passé au raisonnement suivant. Et comme tout bon scientifique, il s’intéresse à la formule du xylitor. Qu’y-a-t-il dans le xylitor? Regardons sa composition de plus près. Il prend ses lunettes et lit : dans xylitor, il y a un x et un y, un lit, on lit ou de l’or ou du tort comment savoir? L’ampoule au-dessus de sa tête clignote à tout rompre, précédant même le garde à  vous de ses neurones. La quatrième dimension de la cinquième de Beethoven bat son plein de cuivres… mais c’est bien sûr! clame-t-il j’ai juste envie d’une bonne brioche du meilleur pâtissier du coin, comment n’y ai-je pas pensé avant? adieu le suspense de l’introspection, bonjour la débâcle littéraire.

Aïeyayaïe sa femme intérieure laissée sur le carreau couine. Un peu décevant comme illumination, comme éveil de conscience, pourtant tous les ingrédients étaient réunis! la scripte commente : il est encore passé à côté, il a dit la même réplique que d’habitude. La caissière ajuste sa blouse et se remet du rouge à lèvres : j’aimerais bien la prochaine fois faire la voix de la femme intérieure, vous en dites quoi, vous êtes d’accord? Allez on ferme annonce le gardien, rendez-vous la nuit prochaine.

Ce texte est une fiction et toute ressemblance avec des médicaments existants, des caissières ou des supermarchés ne serait que pure coïncidence.

 

 

 

 

2 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. catia dit :

    C’est une fiction, mais une vraie fiction alors…! parce que j’ai comme l’impression d’avoir déjà rencontré la caissière ?! ;0)

  2. Chevalier Claudine dit :

    Ca c’est du suspens et jusqu au bout je me suis baladée dans ce rêve. Maintenant je suis debout et réveillée et ça, ça fait un bien fou. Bravo Wangmo.

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