clair-obscur sur plumesioux

L’indien de Proust

Son frère d’arme trouvé dans une brocante

Hélène, la boulangère dans sa deux chevaux camionnette grise comme tous les matins klaxonne devant la porte de la maison. Hélène la boulangère a un peu d’embonpoint, elle est brune et a l’air de conduire bien sa voiture qu’elle gare et stoppe d’un freinage habile, un crayon sur l’oreille. Elle passe dans le village apporter des bouquets de jocos, de baguettes, de croissants, tous les jours sauf ceux où sa deudeuche s’enrhume mais ça n’arrive jamais.

Hélène est aussi un prénom que je connais un peu puisque c’est celui que ma grand-mère friande de sang bleu m’a donné. En grandissant j’ai remarqué qu’il n’y avait pas beaucoup d’hélène dans les châteaux (c’est là que les gens saignent du sang bleu parait-il) que j’ai visité et que moi-même je n’en possède pas, de château, si ce n’est parfois dans les sables des plages mais bien plus au nord. En fait ce n’est pas de cela dont je voulais vous entretenir pour éclairer « plumesioux » mais d’un matin d’été, celui de tous les matins d’été de mon enfance qui ne cesse de me revenir sous la forme d’un indien, mon indien de Proust. Peut-être en avez-vous un aussi et voulez-vous le partager ? Un … quelque chose de Proust. A titre d’exemple, une madeleine, un tennesse ou un haricot magique.

Mémé Clothilde revient avec sa brassée de pain chaud qui sent le four ouvert exhalant des brumes tièdes et gourmandes à toutes les narines de la cuisine, les anges jubilent, les chats dansent, les renards ont les moustaches qui croustillent.

« Tu veux le croûton? » inutile de dire que oui. Le cul du pain bien frais (donc chaud, pointu et doré ) est une bénédiction d’un concret absolu qui, fondant dans la bouche donne à la journée une allure de sacro sainte aventure qui ne peut que bien commencer. Après la bénédiction du pain, le monde peut s’ébrouer en chien mouillé qu’il est cela glisse sur les plumes de mon indien.

Assise à la table de la cuisine, quoi ? 6-7 ans je donne à cette blondeur de la petite Hélène, aussi blonde qu’Hélène la boulangère est vraiment brune et conduit d’une main sa camionnette grise, avec ses gisants de pain à l’arrière. Assise à la table, les contours de la cuisine s’estompent à force de clarté matinale, prompt le soleil broie son jus solaire dans la transparence des rideaux, un spot de grâce illumine la figurine avec laquelle je joue, bien qu’il y en ait d’autres, c’est celle-ci précisément qui accapare mon attention et ma dévotion d’enfant.

Une main levée saisissant la hâche, de l’autre un bouclier le protégeant, son corps de couleur caramel sent le bonbon musqué jusqu’à la lie, odeur transcendant toutes les odeurs dicibles et connues pour n’être plus à la fin qu’une plume sioux voguant vers des rivières au cours d’eau bruissant et sauvage, des pierres aux rochers escarpés, arbres gigantesques et vertes prairies s’amoncèlent, affluent, affleurent à la pointe de la mémoire la plus vive, la plus haute, la plus vaste qui soit. Mon coeur d’enfant explose en baie multicolore, un feu de clarté trompette haut et fort.

Bien sûr mon indien a quelques plumes attachées derrière la tête, des traits de couleur sur le visage, un pagne terreux et brut avec des effilochés comme on en portera plus tard dans les années 80.

Peut-être avait-il les pieds nus ou une peau d’ours en guise de semelle, je ne sais plus, certes des détails m’échappent que le temps a rendu irrécupérables.

Plus tard, je l’ai longtemps cherché dans de vieilles caisses de jouets, pleine de débris plus émouvants les uns que les autres, mon suave indien. Des choses j’en ai retrouvé, tiens ! Margaret ma poupée zombie, au départ une poupée très bcbg, soignée, coiffée, tirée à quatre épingles, un jour elle a dû se faire attaquer (pourquoi vous me regardez?), depuis elle n’a qu’un oeil, a perdu l’autre, sa tête est rasée et entourée de morceaux de scotch avec des résidus de poils (ses cheveux sans doute, enfin des restes), le bout de ses doigts élimés, rongés jusqu’à l’os du plastique complètement aplati, nue comme un ver, aujourd’hui elle ferait le ravissement des enfants têtant au lait télévisuel des vampires, zombies et autres délabrements apocalyptiques, symbole d’une humanité délitée dont les petits et les grands sont cathartiquement friands. Il y a toujours une jubilation à l’autodestruction.

Ma poupée, ainsi dépecée et rendue à la vérité de l’essentiel, son pouvoir était vaudou et je l’intronisais grande prêtresse de la poésie, d’ailleurs je lui ai très vite dédié un texte, une incantation devrai-je dire dès que j’ai su écrire. Mais c’est une autre histoire, une autre fois peut-être si vous me la réclamez.

Une poupée zombie, un père Noël en bois sur une barre en bois inclinée qui descend en faisant « cataclop-cataclop-cataclop » ça ne vous rappelle rien, écoutez-bien !vous connaissez ce genre de jouet non ? Ce n’était peut-être pas un père Noël mais un orang-outan ou un vertébré quelconque. Enfin passons.

Un train rouge en plastique qui servait d’autobus à grenouille et lézard dans le caniveau de la cour intérieure de la maison de l’Etoile, des heures durant à partir en pleine mer sans jamais quitter le mince filet d’eau s’écoulant du robinet, merveilleux voyages à l’éternité invitée et suspendue.

Une rose s’ouvre offerte au bleu des carottes.
Le jardin susurre des papillons éclatants à mon oreille.
En aparté l’escargot roulotte sur la fesse feuillue d’une pivoine.

Et bien d’autres choses encore mais d’indien non pas d’indien et pourtant c’est ce à quoi je tenais le plus. Mon indien de Proust, celui qui condense toutes mes réserves de mémoire vive, ma coquille de noix avec mes robes de mendiante, de pauvresse esseulée et de magicienne intemporelle.

J’ai longtemps soupçonné ma mère, infirmière diplômée d’état, je ne sais pas pourquoi mais il fallait toujours préciser « diplômée d’état » peut-être certaines infirmières ne l’étaient pas ? Bien qu’intriguée par cette phrase je n’ai jamais pu en élucider le mystère et aujourd’hui, sans vouloir vexer mes ancêtres et pour des raisons d’absence de raison, je m’en fiche.

Madiana, ma mère, infirmière de son état, se déplaçait à domicile pour faire des piqûres et certainement d’autres choses aussi, comme des pansements ou des soins particuliers que les personnes trop vieilles ou trop jeunes ne pouvaient faire elles-mêmes, peut-être fallait-il une personne de confiance, une infirmière est digne de confiance, surtout si elle est « diplômée d’état ».

Oui une infirmière c’est quelqu’un aux yeux des gens dans les campagnes, les villes aussi peut-être, je ne sais pas, je n’en ai pas l’expérience, c’est quelqu’un qui fait du mal et du bien en même temps, ce n’est pas un métier facile à assumer mais les malades vous en sont gré. Je sais que, lors de ses tournées, ma mère emmenait parfois des bonbons ou des petites choses que je n’utilisais plus (mon indien par exemple ? Trop tard je n’aurais jamais la réponse ma mère étant à présent une jolie marguerite à la bouche d’un ange, je n’ai pas eu la présence d’esprit de poser la question à l’époque de sa douloureuse incarnation) lorsqu’elle devait soigner un enfant. Moi aussi j’ai relu la phrase.

Depuis j’imagine que mon indien a été kidnappé à mon insu, un jour où ma mère avait oublié d’acheter des bonbons, était pressée ou souhaitait que je me débarrasse de jouets qu’elle jugeait vieux, insignifiants et dont je ne remarquerais pas l’absence, c’était sans compter sur le cynisme enfantin bien plus poussé et lucide que les adultes ne le croient, ce qui n’empêche pas une pelletée d’innocence de temps à autre évidemment.

Ainsi a-t-il disparu à moins que je ne l’ai avalé un jour dans mon sommeil par inadvertance ou trop grand amour ou désir de m’attribuer ses pouvoirs. Que sais-je toutes les raisons pour lesquelles on pourrait avaler quelque chose… je ne vais pas les citer toutes. Pourtant, il me semble qu’il m’a toujours accompagné, en toute irrégularité il refait surface parfois de très loin parfois de très près, mon indien de Proust, à l’odeur de cire absolument vierge, embaumé de la vivante lignée d’oiseaux à laquelle j’appartiens, laissant tomber sa plume à la griffe de mon ami l’ours, initiateur de tous les parcours à venir.

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