Un texte n’est pas toujours aisé à traduire. J’ai gardé certaines répétitions qui peuvent alourdir les phrases pour privilégier le sens et le développement des idées présentées. Parfois j’ai osé des arrangements, mais vraiment très peu. J’ai essayé de rester fidèle à l’esprit du texte.
Merci de votre indulgence et bonne lecture.
La tradition n’est pas nécessairement un système développé par quelqu’un, mais elle est la compréhension naturelle des choses telles qu’elles sont, sur la base de laquelle nous voyons – et chacun le constate – que le ciel est bleu et que l’herbe est verte. La tradition est cette voie, plutôt qu’une loi et un ordre établis par quelqu’un ou une opinion personnelle de quelque nature que ce soit. Ainsi la tradition est le sens commun dans son excellence.
L’éveil est aussi l’apogée du sens commun. Par conséquent il est regardé comme une tradition. Il est aussi considéré comme infaillible, vrai et puissant. Il ne peut être contredit. Personne ne peut dire « le ciel est vert » ou «l’herbe est rouge » – peut-être quelques personnes, mais à proprement parler, personne ne peut dire cela (rires). La logique de base – le chaud est chaud, le froid est froid, le jour est lumineux, la nuit est sombre – est la tradition. C’est la vérité et en même temps c’est la tradition.
Il n’existe pas du tout de notion d’ego au début, mais il y a la notion d’intelligence. Notamment que cette intelligence commence à regarder les autres, son environnement. Donc cela commence à développer la conscience de l’autre. Parce que les autres existent, alors on commence à chercher à s’accorder, à s’harmoniser. C’est comme une mise de fonds : si vous avez 40,000 dollars, puis vous demandez à quelqu’un d’autre de donner 40,000 dollars, vous pouvez totaliser 80,000 dollars ensemble. J’espère que mes calculs sont justes. En retour, nous pouvons espérer continuer à surenchérir de 16 000 dollars par exemple, et au-delà, parce que la première mise de fonds a été effectuée. Et puis nous allons au-delà, et au-delà, ce qui génère beaucoup de fonds, tout ça à cause de l’échange de fond initial.
C’est comme cela aussi que commence la situation ego. Vous existez ; donc j’existe, cela commence, très simplement. Et la raison pour laquelle nous savons que vous existez est que nous n’en avons aucune idée!
La première chose est que vous n’existez pas ; donc les autres existent en premier. Mesdames et messieurs, je ne veux pas vous embrouiller davantage, néanmoins il est assez tentant de discuter. Lorsque d’autres existent, c’est ce que vous voyez d’abord, avant que vous réalisiez que vous êtes là. Avant que vous pensiez que vous êtiez là, vous commencez à voir l’autre très fortement. Et puis, comme il est autre, il y a des possibilités que l’autre puisse être conquis, subjugué ou séduit. Ainsi les deux possibilités d’agression ou de passion commencent à se développer. Et la troisième possibilité est que, quand les autres existent, vous pensez que vous ne pouvez pas partager vos mises avec eux, donc vous les ignorez complètement, totalement.
Alors l’ignorance commence à se développer. « M‘en fous » commence à se développer. Ainsi ces trois possibilités – passion, agression, et ignorance – commencent à se développer. Nous commençons à sentir que nous avons quelque chose de substantiel entre les mains. C’est ce qu’on appelle l’ego, qui repose sur une situation boule de neige. Il n’y a rien de tel qu’on puisse qualifier d’ego, mais il y a une idée quelque peu fictive de quelque chose qui serait un point de référence. Parce qu’il y a d’autres, nous commençons à développer nous-mêmes. Alors on commence à rejeter les possibilités de douceur et à développer la surenchère, l’agression, et ce qui est connu comme la « macho-attitude », l’égoïté.
Nous commençons à imposer nos possibilités de pouvoir sur les autres : quand vous voyez rouge, vous devez conquérir le rouge ; quand vous voyez bleu, vous devez séduire le bleu, et ainsi de suite. Vous commencez à développer ce système particulier, qui est complètement inutile.
Puis nous commençons à développer l’idée que le ciel, ou le paradis, n’est pas assez vaste. Nous commençons à regarder le ciel comme une tarte que nous pouvons découper en morceau, manger, mâcher, avaler, et goûter. Et puis nous finissons par en faire de la merde, pour ainsi dire. Alors, nous cessons d’avoir une plus grande vision du paradis dans son ensemble, du ciel dans son ensemble. Nous commençons à solidifier notre expérience, sur des bases soit de passion, d’agression ou d’ignorance.
Afin de dépasser ces tendances égomaniaques, nous devons développer une plus grande vision. Néanmoins, pour dépasser l’ego, nous devons défaire les schémas habituels que nous avons développés depuis des centaines d’années, des centaines d’éons, jusqu’à maintenant. De tels schémas n’ont aucun fondement réel, mais on a été accoutumé à faire le sale boulot avec, pour ainsi dire. Nous avons l’habitude de ces schémas et de ces névroses. Nous y sommes habitués depuis longtemps, tellement que nous croyons qu’ils sont quelque chose de réel.
Afin de dépasser cela, pour commencer, nous devons voir l’absence d’ego. C’est tout-à-fait une discussion que nous pourrions avoir plus tard : voir l’absence d’ego de soi-même, l’absence d’ego de l’autre, et comment nous pouvons surmonter notre anxiété et la douleur qui, en termes bouddhistes, est connu comme la liberté, la libération de l’anxiété. C’est précisément ce que signifie nirvana – soulagement. Ainsi nous pourrions encore discuter d’autres aspects, en particulier des quatre types d’obstacles mais je voudrais m’arrêter ici . Peut-être pouvons-nous avoir une discussion. Merci beaucoup.
Question : Monsieur, vous dites qu’en premier il y a l’ego de l’autre, et puis l’ego de soi se développe. Mais n’arrivent-ils pas simultanément ?
CT : Pas nécessairement. D’abord, il y a l’autre. C’est comme quand vous vous éveillez le matin. La première chose qui vous réveille est la lumière du jour. Si vous tombez amoureux de quelqu’un, vous voyez votre amoureux en premier ; ensuite vous tombez amoureux. Vous ne tombez pas amoureux pour commencer, parce que vous n’avez personne pour être amoureux. Ainsi c’est toujours l’autre pour commencer ; puis vos affaires viennent après.
Question : bien, comment se fait-il que pour réaliser l’absence d’ego de l’autre, vous travaillez en amont l’absence d’ego de soi-même ?
CT : c’est parce que vous avez fait tout ça déjà. Alors vous commencez à réaliser que vous êtes l’initiateur, pas nécessairement du point de vue logistique en particulier, mais que vous avez une forte emprise sur toute la chose. Vous tombez amoureux de quelqu’un, l’autre ; alors vous êtes autant en amour avec vous-même. Donc nous commençons par ici, pour surmonter l’autre.
C’est très basique et très ordinaire. En d’autres termes, si vous ne devez pas prendre de sucre, vous voyez d’abord le sucre et ensuite vous arrêtez de le prendre, ça commence avec vous, d’accord ?
Traduction de wangmo
Extrait de : The sanity we are born with, a bouddhist approach to psychology
A la question « Quels cadeaux avez-vous reçu de vos prédécesseurs ? » pourquoi ne pas évoquer vos maîtres bouddhistes qui vous ont inspirés comme Chögyam Trungpa Rinpoché et d’autres … peut être que vous entendez par « vos prédécesseurs » uniquement ceux de votre filiation familiale. Mais je pense que notre famille humaine est immense !…dans tous les cas merci beaucoup pour ce beau texte traduit de l’anglais qui le rend plus accessible à tous. L’ego, ce concept m’était inconnu avant d’entrer dans la grande famille bouddhiste où il est présent à chaque enseignement que j’ai pu écouter. Alors il est indispensable d’en bien comprendre ce qu’il recouvre. Encore merci bcp ! j’avais aussi bien aimé l’approche de l’égo dans le livre de Chögyam Trungpa Rinpoché « La pratique de la voie tibétaine » car j’avais l’impression qu’il parlait tellement bien de ce que je vivais cad le wistiti qui saute partout dans sa cage, sa maison… je devrais le relire !
Bien sûr nous avons de nombreuses lignées et de nombreux maîtres, connus et inconnus, au masculin féminin pluriel et au-delà peut-être. Les citer tous prendrait du temps mais je penserai à réactualiser ma bio en ce sens 😉 En ce qui concerne la grande famille, et l’immensité de tous nos liens, nous pourrions aussi nous y perdre… tellement immense que finalement nous en oublions de bien veiller sur nos proches. Il est important de savoir parfois déplacer
le centre et parfois y revenir, histoire de propos et de moments. Bien cordialement, wangmo