Ecrire est-il une forme de résilience?

Faisant face à des événements tragiques, l’écrivain Georges Pérec, enfant, déclare un jour tout de go : « je m’appelle Georges, j’ai huit ans et je suis écrivain« .

Ce qui aurait pu le détruire devient le fil à plumes de son existence. Écrire pour déposer les armes sur un rivage où par les vagues qui m’agitent je me découvre océan.
les morts marchent sur la terre
leurs ossements craquent sous mes doigts
Un jus coquelicot coule du stylo
Ouvre l’âme à sa plage de radiance
Jour de résilience

LA-RESILIENCEDans son livre « sauve-toi, la vie t’appelle« , Boris Cyrulnik nous rappelle qu’une mémoire saine est une mémoire qui évolue, qui ne reste pas bloquée sur les événements du passé. C’est une mémoire vivante capable d’évoluer et d’intégrer le changement, le mouvement de la vie vers l’avant. Bien sûr, de nombreuses blessures, un environnement désorganisé et instable, à une époque de la vie où nous ne pouvions pas trouver les mots pour en rendre compte, ont tendance à laisser la mémoire figée sur des formes imposées. Ces formes et ces images se surimposent à la vie d’aujourd’hui et renforcent des émotions et sentiments douloureux qui ont tendance à nous enfermer dans la crypte des fantômes du passé. Les fixations du passé colorent les souvenirs du présent. De même, minimiser le récit d’un événement traumatisant enferme et isole l’individu en une souffrance indescriptible.

Une mémoire saine intègre et évolue. La représentation de ce qui est arrivé change avec le temps et les contextes. Comme le rappelle Boris Cyrulnyk, ce n’est pas la guerre qui produit des troubles psychiques, la guerre produit des bombardements et des destructions. Ce qui produit des troubles psychiques, c’est la désorganisation sociale, familiale, relationnelle vécue avant l’événement traumatique. C’est pourquoi tout le monde ne réagit pas de la même façon à ce qui arrive. Nos réactions sont en lien avec l’histoire du sujet que nous sommes. D’un enfant à l’autre cela est différent, même dans une même famille.

resilience-1La niche affective de l’enfant peut être menacée par toutes sortes de déficiences. Bien que la mère soit la garante de la niche sensorielle, il y a d’autres  données qui influent, comme la précarité sociale et économique, la violence du père, par exemple. Lorsque la niche affective du bébé est appauvrie, l’enfant sera en grandissant plus vulnérable. Mais lorsque l’on parvient à rééquilibrer les conditions sociales ou relationnelles, les fragilités neurologiques acquises peuvent disparaître.

Lorsque l’on a acquis un attachement sécurisant dès notre jeune âge, l’impact d’un événement sera moins traumatisant. Cet attachement sécurisant aura permis d’acquérir l’aptitude à verbaliser qui est l’outil indispensable de la maîtrise émotionnelle. Face à un événement traumatisant, certains perdront la parole ou la mémoire, d’autres sembleront surmonter facilement l’insupportable. Cependant, quelques temps après viennent la confusion, les sensations et les émotions douloureuses.

Faire un récit permet de donner cohérence à l’impensable, de penser l’indicible de l’horreur ou de raconter au sein des atrocités la vie qui continue à s’écouler. En sortant de l’amnésie pour soi et pour les autres, on prend le risque de toucher le monde de l’autre, de celui qui écoute. Paradoxalement, écrire est trouver une nouvelle langue pour ce qui n’en a pas.

Sur un plan inconscient, l’amnésie est la gardienne qui érige le mental en maître de la maisonnée intérieure.  La mémoire semble parfois nous jouer des tours. Avez-vous déjà vécu cette sensation de vous souvenir d’un événement qui n’a jamais eu lieu. Est-ce vrai? est-ce faux?

resilienceMême les faux souvenirs sont des souvenirs, ce ne sont pas des mensonges. On peut se souvenir d’un événement qui n’a jamais eu lieu. Ces souvenirs  sont la trace de fragments de mémoire d’images et de mots utilisés pour donner une forme consciente à une sensation implicite. Ou encore on pourrait l’exprimer ainsi : un souvenir recomposé, fait de différentes sources soutient une image qui me parle. Un faux souvenir témoigne d’un vrai sentiment. Le contraire est aussi fréquent. Des enfants maltraités peuvent soutenir longtemps qu’ils ne l’ont pas été. Lorsqu’adultes leur vie devient plus agréable, ils voient alors leur passé autrement. Parfois l’attachement à la représentation traumatisante du passé atténue l’angoisse d’y faire face en mettant le couvercle dessus.

En constellations, lorsque nous écrivons dans l’espace l’image intérieure du problème qui nous soucie aujourd’hui, nous redonnons de la place à la libre circulation de ce qui était bloqué, la reconnexion avec des émotions profondes. En fait consteller c’est permettre, autoriser ce qui apparaît parce que cela apparaît. Il s’agit de se réconcilier avec ce qui apparaît. L’organisation mentale rigide a ses aménagements intérieurs, ses carrés d’amnésie. Changer suppose de les voir et de remettre en question un équilibre pourtant bien précaire. La remise en question de soi est la remise en question d’une organisation interne qui fonctionne en privilégiant l’amnésie comme bien-être. Nous nous privons par là même d’accéder à la part belle et tendre de notre âme qui dépérit sous les couches d’une richesses inféconde. Bien sûr ce processus de résistance peut être tenace car il a ses avantages. Certaines personnes le dépistent, d’autres ont plus de difficultés à y faire face. Il n’y a pas de norme dans les éveils intérieurs.

resilience1Le simple fait d’écrire, de penser avec la main vient remanier l’histoire que l’on se raconte. On peut longtemps croire que c’est l’événement qui définit le traumatisme. En apprenant à mettre des mots, à organiser les mémoires vives de notre âme, nous accédons à une autre compréhension et un autre regard. Faire le récit de sa vie ce n’est pas enchaîner des événements mais mettre de l’ordre dans la représentation de ce qui nous est arrivé. Écrire participe de ce travail intégrateur de la mémoire vivante.

Ecrire libère et clarifie, aide à avancer vers une représentation cohérente et apaisante de soi. Ce qui engendre la confiance en des comportements futurs que vous saurez être bons pour vous. La mobilité de la mémoire , à travers le récit, met de la clarté pour oser vivre la vie donnée et reçue.

Écrire est une forme de résilience, la vie revenue au tempo des pleins et des déliés de la mémoire confie au linceul des mots tout ce que l’on souhaite honorer et voir se distribuer.

3 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. pierre penard dit :

    à ne pas écrire, je devient le Judas à soi-même et aux autres.
    terrifiant, je suis terrifié.
    des hordes de juments de Diomède et vagues d’hydres de Lerne me chassent de la clairière à jamais.
    toutes ses mémoires morbides enchevêtrées.
    je fonce à tombeau ouvert dans le labyrinthe du Minotaure.
    je ne suis que trahison.
    immenses pierres dans le canal.
    aussi espoir d’un regard un peu moins faux, un tout petit peu moins complaisant
    une petite fenêtre dans le mécanisme du ciel,
    je n’ai pas intérêt à la louper.
    diablement votre
    PS: je suis un grand écrivain statufié comme Madame Loth

  2. sara sarfati dit :

    merci ma sioux de Plume pour tes articles qui alimentent si bien ma réflexion coeur/corps/esprit
    je vous espère en bonnes heures à encore Sara

  3. catia dit :

    Le souvenir de cet article Wangmo, reste gravé en moi à jamais, ton écriture m’a fait rencontrer la mienne alors que j’étais comme « la jeune fille au mains coupées »…! Tu m’as permis la réconciliation avec les souvenirs, les images inscrites en moi par la plume de la vie qui s’écoule. Puisque les faux souvenirs n’en sont pas, je me sens alors encore plus vraie !!!
    La dernière phrase de cet article est allée droit au cœur laissant couler une larme ! Je suis touchée, profondément touchée ! Une phrase me vient à l’esprit comme un souvenir de Retraite passée à tes côtés Wangmo : « ce que la beauté attire, l’intelligence le retient ! ».
    A la lecture du livre « Je me souviens » de G. Perec, des souvenirs oubliés sont remontés à la mémoire de mes yeux comme un ballon qui soudain se détache du fond de l’océan pour surgir à la surface de l’eau !!!
    Merci Wangmo.

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