Vie des écholunes

Il aimait sortir la nuit chercher des écholunes sur les fleurs refermées ou sur la route qui s’étendait en ruban de cendres argentées.
Une légende disait que si vous en trouviez au moins un ou une (le genre n’était pas certain pas très défini) alors vous pouviez développer la capacité de vous libérer de tous les traits négatifs de votre fichu caractère, principalement celui qui dominait et dont en général étant dedans à votre corps défendant vous n’étiez guère conscient. Sauf à persévérer dans la découverte des écholunes et de leur vie nocturne. Ce n’est pas qu’ils ou elles ne se manifestaient pas le jour mais il était plus facile et nous étions en général tous plus disponibles la nuit.
Au regard des avantages possibles cela valait la peine de traquer l’horizon même si la difficulté était de pouvoir reconnaître un ou une écholune car personne n’en avait jamais vu pour de vrai.
Etait-ce d’ailleurs visible? Etait-ce comme une pierre magique sur laquelle on tomberait par hasard et qui nous sauterait aux yeux à l’évidence? Etait-ce comme un soupçon de rosée perdu parmi d’autres dans la brume du matin jaillissant?
Etait-ce une lumière d’une couleur ou d’une aura particulière car beaucoup de choses apparaissaient ainsi? Nul n’avait jamais répondu à ces questions. On disait que le simple fait de les chercher les ferait apparaître, qu’il ne fallait pas en douter, et que les voir tout de suite était rare car de toutes façons nous ne pourrions supporter leur révélation abrupte et directe.
Ce que l’écholune montrait était du domaine émotionnel caché, pas toujours plaisant, voire carrément désagréable. Vous vous dites sans doute que vous avez déjà fait le tour de toutes vos émotions et que vous n’envisagez pas d’autres surprises. Détrompez-vous : la racine de la reine mère émotionnelle nous échappe la plupart du temps. C’est un peu comme tomber sur le nid de l’alien matriciel alors que jusqu’ici on n’avait eu affaire qu’au fils qui nous poursuivait certes de ses assiduités malveillantes car pleines de redondantes et redoutables souffrances. Un peu à bout de souffle non?
Oui ça nous connaissons, les souffrances redondantes de l’image de soi poursuivie par tous les monstres de la terre professionnelle, relationnelle, économique, pharmaceutique et j’en passe.
Vous vous levez le matin vous vous regardez dans la glace, et mince un alien juste comme vous releviez la tête du lavabo. Sous la peur panique de son emprise vous fuyez à toute allure et tombez dans les escaliers que vous n’aviez pas vu, pour raison d’alarme initiale déclenchée. Et là j’espère que vous ne vous êtes pas fait trop mal, ça va? parce que vous êtes peut-être tombé sur la couveuse… ou peut-être pas et vous vous relevez en oubliant toute l’histoire mais la série repassera bientôt intégralement sur la chaîne unique de notre esprit conditionné dans la boucle temporelle de ses angoisses récurrentes.

Bien sûr tous les matins ne se passent pas comme ça. La plupart des moments sont recouverts d’une mince pellicule d’ignorance suffisante pour éviter tout frottement désagréable avec la vérité vraie. On arrive toujours à s’en tirer.
Mais ceux qui cherchent des écholunes ont bien conscience que cet état de fait ne peut se prolonger indéfiniment. Et surtout imaginez ce que cela serait de ne plus avoir le cou tordu par cette individualité forcenée qui gère toutes les affaires. Imaginez ce que ce serait d’être sans peur, sans mensonge, sans avidité, sans faux semblant, sans orgueil ni suffisance, sans indifférence, sans lâcheté pour ne citer que la crème à la surface de la tartine car il y a bien d’autres garnitures juste dessous. Ce qui rend ce goût amer? oui vous l’avez bien noté, c’est la souffrance que cela engendre toutes ces couches faussement protectrices qui se fissurent de partout à la moindre occasion. Non palpable au départ, c’est plutôt bon, normal dirons nous puis il y a comme un arrière-goût dans la bouche d’échafaud et de désespoir. A cette description, les plus conscients se reconnaîtront.
Il, revenons à notre héros, l’était lui conscient qui avait décidé d’introduire des graines d’humanité et de santé dans le magasin de l’ego qui lui ne veillait personnellement qu’à sa survie permanente et l’agrandissement de ses locaux, pas question que la saisie pointe au chômage.
Il savait que pour percevoir la vie des écholunes, il fallait de la vision nette et dégagée, celle qui était parfois engloutie sous des tonnes et des massues de bennes de croyances et ressassements tricotés cachemire, sans parler des insectes du quant à soi qui grignotaient toute aspiration proche de l’élection et du but.

Toutes les nuits se mettre en quête avec son filet à vision, c’était beaucoup direz-vous pour le peu de résultat. Cependant rien de ce qu’il faisait en ce sens n’était inutile. Cela le changeait malgré tout, le transformait. Son intention agissait. Par exemple, il se sentait moins avide. Certes il avait encore des petites remontées nécessaires et inoffensives mais dans l’oeuvre générale de lui-même c’était beaucoup moins présent.
A la place il y avait beaucoup plus de satisfaction de l’instant présent, en l’absence de toute excitation ou agitation sensationnelle.
Il finissait par aimer le silence, il s’y sentait même bien. C’est ce qu’il avait remarqué les nuits d’écholune, il se levait et sortait à l’extérieur et c’était comme rentrer chez soi, dans la joie d’un coeur apaisé.
Il entendait le martèlement de lointaines galaxies, il recevait les influences magiques d’une écoute à l’intuition empathique, il était le monde au-delà du monde. Alors l’insatisfaction, le mal-être disparaissaient au fond de la gorge du ciel, ou dans les racines de l’arbre.
C’est pourquoi il avait décidé de continuer à croire en la vie des écholunes, il en avait des preuves, dans l’amélioration de son intelligence émotionnelle, de sa présence et même de sa mort prochaine. Il s’imaginait lui-même après sa mort être un écholune (eh dis l’auteure et pourquoi pas une?) et se demandait parfois comment il se manifesterait à celles et ceux qui auraient besoin ou envie de ne plus subir leurs propres travers, leurs propres distorsions, leurs propres enfers. Il voudrait leur donner le courage de commencer. Peut-être viendrait-il dans leurs rêves chuchoter à leur oreille de chou intérieur des secrets de rose indigo, comme de s’éveiller et de regarder autrement ce qu’ils étaient, d’accepter leurs souffrances d’enfant qui avaient forgé leur caractère mais qu’ils n’étaient pas cela, que ce n’était qu’une limite inévitable qui définissait si on y regardait bien le travail de libération à faire.
Pour finir, il s’était endormi dans les bras du jour naissant, enveloppé du parfum de ses pensées de coeur qui  sortaient des pores de sa peau comme de petites lucioles intrépides dans l’air épanchées, distribuant leur lueur à qui pourrait les voir venir, les reconnaître à l’essence de leur nature, les suivre et voyager sur la terre du quotidien en leur compagnie.
Bon petit-déjeuner.

 

2 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. xab0003 dit :

    Au bout des graffitis
    Ce matin
    une fièvre à 40° a transformé mon lit en éponge saturée de ma sueur nocturne
    Le sel de ma transpiration a dessiné sur mes draps des chauve-souris au sonar
    désemparé
    Je ne sais plus du rêve ou de la réalité ce qui est vrai
    des palettes de fret exigeantes me demandent des cargo des destinations improbables qui me renvoient à des peurs d’enfant d’une déesse mère exigeante
    quelque peu tyrannique et titanesque de ses propres peurs d’enfant
    Je n’ai plus de beurre
    tant pis je mangerai du pain sec
    je n’ai pas le courage d’aller à l’épicerie
    je suis épuisé
    je vais me faire un café
    et prendre de l’aspirine
    Demain il faut que j’aille travailler

    j’ai attrapé froid vendredi soir sur la mer du nord
    un groupe de goélands discutaient sur la nécessité de sortir de la grotte
    quand on aperçoit ce filament argenté à l’horizon des nuances de gris
    on se dit que l’on doit se faire jour de soleil
    c’est une nécessité toujours présente
    certes implacable mais nécessaire quand on entre dans le labyrinthe du présent

    Amplifier le présent à la démesure de l’infini
    ciel indigo
    résonances d’or
    l’arbre céleste et lumineux épouse la terre mère qui enfante des poissons argentés
    qui éclairent l’océan
    les goélands se prosternent

  2. catia dit :

    Puissè-je rencontrer l’écholune à l’aube de mes nuits, quand le temps sera venu, où lavée de mon ego capricieux, mes yeux grands ouverts illuminés reconnaitront mes émotions préhistoriques…!!! ;0)

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